Société Centrale d’Apiculture

Article publié le 29 février 2024 dans "Le Monde"

Pour freiner le frelon asiatique, les apiculteurs appellent à l’aide toute la population française.

Par Jean-Michel Normand journaliste au Monde

Abeille en danger, Frelon

Les mesures en vigueur ne suffisent plus pour freiner cette espèce invasive qui décime les ruches. Selon les professionnels, il faut que l’ensemble de la population rejoigne la lutte, en pratiquant notamment le piégeage printanier.

Il y a vingt ans, dans le Lot-et-Garonne, un nid de frelons asiatiques s’échappait d’un chargement de poteries à usage horticole importé de Chine. Depuis, Vespa velutina nigrithorax a pris ses aises à travers la France et l’Europe, où le réchauffement climatique ne cesse de lui ouvrir de nouveaux territoires. L’ouest de l’Hexagone est plus exposé que l’est et seule la Corse reste épargnée par les dommages que provoque ce prédateur qui assiège les ruches entre juillet et octobre.

Face à cette situation, les instances apicoles s’interrogent. Après des années au cours desquelles les groupements sanitaires apicoles départementaux et régionaux menaient leurs actions sans réelle coordination, un nouveau plan national de lutte associant les diverses organisations a été adopté en février par GDS France. Cet organisme agrège les groupements de défense sanitaire, organisations professionnelles agricoles sur lesquelles l’Etat peut s’appuyer pour les actions de prévention et la lutte contre les dangers sanitaires liés à l’élevage animal.

La principale nouveauté de ce plan, publié mercredi 28 février, est qu’il insiste sur la nécessité de sensibiliser au-delà du seul cercle des apiculteurs et d’associer le grand public à la bataille contre Vespa velutina.

En 2022, selon GDS France, 20 % des pertes de colonies d’abeilles seraient directement imputables au frelon asiatique. Outre le prélèvement de milliers d’ouvrières capturées à l’entrée de la ruche, la présence de cet hyménoptère aboutit à créer un stress qui dissuade les abeilles d’aller butiner pour constituer des réserves de miel et de pollen avant l’arrivée de l’hiver. Au total, le préjudice subi par la filière apicole est évalué par la profession à 11,9 millions d’euros.

« Danger exponentiel »

Classé espèce exotique envahissante, cet insecte, reconnaissable à l’unique segment jaune orangé qu’il porte sur l’abdomen et à ses pattes à l’extrémité jaune, peut aussi devenir localement une nuisance pour la population. On l’a vu s’attaquer aux étals de certains marchés, aux poubelles de restaurants, voire à des jardiniers municipaux ou à des ramasseurs de fruits dans des exploitations arboricoles.

L’autre constat qui s’impose est que les digues élevées contre sa prolifération apparaissent de plus en plus coûteuses – 12 millions d’euros pour les destructions de nids prises en charge par les collectivités locales – et de moins en moins efficaces. « La lutte contre le frelon asiatique est devenue une urgence absolue, qui ne concerne plus seulement le seul milieu des apiculteurs et doit devenir un acte citoyen », assure Marie-Laure Legroux, membre de la Société centrale d’apiculture et animatrice du Collectif alerte frelon, qui vient de se constituer en Ile-de-France. « Les frelons asiatiques représentent un danger exponentiel, non seulement pour nos abeilles, mais aussi pour la biodiversité », souligne le collectif.

Parmi ses recommandations, GDS France met en exergue le piégeage printanier des reines fondatrices. Pour être efficace, la chasse aux fondatrices de colonies de frelons asiatiques exige un quadrillage organisé et relativement serré du territoire concerné. A Trégastel (Côtes-d’Armor), 53 bénévoles équipés de pièges prêtés par la municipalité et garnis d’un cocktail adapté (il est possible de mélanger du sirop, de la bière et du vin) ont capturé 1 146 fondatrices entre le 15 mars et le 15 mai 2023. Dans les mois qui ont suivi, le nombre de nids de frelons repérés (et détruits) a chuté, passant d’une densité de treize au kilomètre carré en 2021 à cinq, un niveau considéré comme « acceptable » par les organisations apicoles.

« Il est confirmé que là où un piégeage coordonné est organisé, des effets significatifs sont constatés, mais il faut bien admettre que l’on ne pourra pas éradiquer le frelon asiatique », prévient Laurent Cloastre, ingénieur conseil auprès de GDS France.

Effets du piégeage aléatoires

Le piégeage au long cours, s’il est efficace, est également controversé, car il ne peut pas être totalement sélectif. Les leurres anti-Vespa velutina attirent en effet d’autres insectes, comme les frelons européens (qui, à l’occasion, croquent eux aussi quelques abeilles, mais en moins grande quantité), les coccinelles, les abeilles solitaires, les papillons ou d’autres populations nécessaires à la pollinisation ou à l’alimentation des oiseaux. C’est pourquoi il est généralement recommandé d’utiliser des pièges vendus dans le commerce, dont les moins chers ne coûtent que quelques euros, plutôt que de transformer hâtivement en pièges des bouteilles en plastique découpées.

Question efficacité, Quentin Rome, spécialiste du frelon asiatique au Muséum national d’histoire naturelle, ne privilégie pas le piégeage, dont il juge les effets aléatoires. Selon lui, « il faudrait plutôt mettre l’accent sur l’installation d’une muselière sur le devant de la ruche, un grillage qui gène l’action prédatrice et réduit le stress des abeilles, ou d’une harpe électrique placée sur le chemin des frelons asiatiques ». Problème : la première coûte une vingtaine d’euros et la seconde, dans les 200 euros.

Christian Guespin, apiculteur et président du Groupement de défense sanitaire apicole des Côtes-d’Armor, souhaite d’abord que s’opère une prise de conscience collective. « En Bretagne, où le frelon asiatique est devenu tellement envahissant que chacun le connaît, on ne fera reculer sa présence qu’à condition de s’adresser aux citoyens », martèle-t-il. En 2023, dans le département, quelque 6 500 piégeurs volontaires ont ainsi capturé chacun une moyenne de 21 reines fondatrices. Un bilan qu’il faut apprécier en rappelant qu’une seule colonie de Vespa velutina produit jusqu’à 13 000 individus par saison et consomme 11,5 kilos d’insectes.

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[bleu]Jean-Michel Normand[/bleu]

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