Printemps 2010, vers 18 heures.
Après une belle journée de butinage sur le colza en fleurs, une petite visite au rucher s’impose. Des milliers d’abeilles mortes tapissent le sol devant les ruches. Des milliers d’autres, inertes, obstruent les aérations des plateaux grillagés et les planches d’envol.
Le mot du président de la Société Centrale d’Apiculture
Mais combien, désorientées, ne sont pas revenues et combien, empoisonnées à petites doses, mourront encore progressivement, y compris pendant l’hivernage ? Et combien d’autres insectes pollinisateurs ont-ils, eux aussi, été anéantis au même moment ?
Ce spectacle désolant, nul n’aurait pu le prévoir une heure auparavant, et l’apiculteur, démuni, le contemple, muet.
Après appel à la Direction des Services Vétérinaires, un technicien prélève des échantillons en vue d’analyses ultérieures, lesquelles ne seront jamais réalisées, faute de crédits disponibles. Il eût fallu aussi procéder à une enquête de proximité auprès des agriculteurs afin de répertorier les produits utilisés ces jours-là et éventuellement les mélanges réalisés avant épandage. Aucun fonctionnaire n’a été mandaté pour ce faire.
Les colonies concernées ne s’en sont jamais vraiment remises : le mauvais hivernage n’a été compensé que progressivement, les élevages ont été plus aléatoires, pénalisant lourdement la saison 2011.
A l’automne, cependant, la forme est revenue et les abeilles aux corbeilles remplies de pollen préparent allègrement un bon hivernage en profitant de l’été indien qui se prolonge. Alentour, des tracteurs déploient leurs rampes de pulvérisation sur le colza en pleine croissance et – surprise – sur les champs jaunes de moutarde en fleur (laquelle est supposée être un engrais vert). Malheureuse coïncidence sans doute, dans les heures et les jours qui suivent, de petits tapis d’abeilles mortes s’accumulent à nouveau devant les ruches, tandis que d’autres, mal en point, cherchant à rentrer au logis, sont chassées par les gardiennes. Nul ne saura ne saura jamais la composition du contenu des cuves d’épandage, ni même les raisons motivant les traitements effectués. Et nul ne pourra jamais établir une corrélation certaine entre ceux-ci et la mortalité constatée. L’omerta règne dans ces domaines.
Pendant ce temps, et malgré les invalidations à retardement par le Conseil d’Etat des autorisations accordées pour le Cruiser©, celui-ci continue d’être utilisé massivement, comme d’autres insecticides neurotoxiques systémiques.
Je vous propose donc un nouveau slogan, paraphrasant une formule élaborée par les services de l’Etat : « Les systémiques, c’est pas automatique », parce que les traitements préventifs génèrent souvent à terme plus de problèmes qu’ils n’en résolvent.
En effet, le bon sens et la logique médicale convergent ici : les soins phytosanitaires apportés aux plantes comme l’utilisation des médicaments prescrits aux hommes doivent en général être postérieurs aux constats des symptômes et à la détection des maladies.
Contrairement aux vaccins qui stimulent la production d’anticorps (action endogène par définition), les neurotoxiques systémiques, véhiculés en continu par les végétaux, sont exogènes, agissent avec un large spectre de destruction et sont rémanents. Comme d’autres pesticides, leur diffusion dans l’environnement atteint la plupart des êtres vivants, de manière directe ou indirecte, avec des effets possibles sur l’homme et son alimentation.
On comprend mieux alors comment des traces de pesticides sont relevées dans bon nombre de miels, bio ou non bio, même si elles sont infinitésimales et largement en dessous des seuils règlementaires. L’importation mal maitrisée de certains miels ne facilite pas non plus la garantie de qualité des miels vendus dans les grandes surfaces.
L’abeille en ville, quant à elle, se porte bien. Alors que s’aggravent les difficultés rencontrées dans les zones d’agriculture industrielle, nos ruches parisiennes prospèrent et nos colonies urbaines produisent des miels variés, abondants et convoités.
L’immense succès de nos fêtes du miel traduit bien la popularité de nos abeilles, devenues emblèmes de la qualité de notre environnement. La société civile prend conscience et se mobilise, sans pour autant que nos élus, très sollicités par les lobbies, ne prennent la mesure du désastre, y compris lorsqu’il s’agit d’engager la lutte contre le frelon asiatique.
Pourtant, l’intérêt manifesté à l’égard de notre abeille ne fait que croître. Les inscriptions à nos cours d’apiculture dépassent de 200% nos capacités d’accueil. La participation à l’examen pour l’obtention de notre diplôme avoisine les 90%.
Nos partenariats pour l’implantation de nouveaux ruchers se multiplient : Institut National des Jeunes Sourds, Jardin des Plantes et Muséum, Conseils Généraux de Seine Saint Denis et des Hauts de Seine, École Centrale Paris, Crédit Municipal de Paris, Jardin d’Acclimatation, Jardins partagés de la ville de Paris, Maison de la radio. D’autres collaborations se mettent en place : avec l’Hôtel du Louvre, avec des entreprises proches de l’esprit du commerce équitable, avec les Monuments Nationaux.
Notre expertise concernant l’implantation de ruchers en ville dans le domaine public est désormais reconnue dans le cadre de la commission apicole de Paris, présidée par Fabienne Giboudeaux, Adjointe au Maire chargée de l’environnement.
A notre initiative, sous l’égide de la ville et du Muséum d’Histoire Naturelle, avec l’ensemble des organisations apicoles, un piégeage de détection de l’arrivée du Vespa velutina nigri thorax a été mis en place. Il s’agit maintenant de le reconduire et d’impliquer l’ensemble des services de l’État.