La reine mourut !
Pour la remplacer, rien de plus simple. Quelques « clics » sur un ordinateur et une nouvelle reine fut commandée quelque part du côté de l’Alsace, du moins c’est ce que prétendait le fournisseur « virtuel » bien entendu !
Avant de recevoir cette reine d’exception il fallut payer en avance sa majesté et son transport royal. La reine arriva avec diligence par la poste dans un drôle de carrosse pour une reine d’abeilles. Mais bon, par chance elle était encore vivante et elle fut introduite dans sa nouvelle demeure selon les règles de l’art. Elle eut du mal à se libérer du labyrinthe que le fournisseur lui avait imposé car ce n’était pas la petite cage toute simple avec un mince bouchon de candi que beaucoup connaissent mais une drôle de prison. Elle y arriva, ce qui donnait une preuve de sa qualité et de sa vigueur. Les apiculteurs rassurés attendirent que sa majesté commence à pondre selon les lois de dame Nature. Mais la reine ne voyait pas les choses ainsi. Sans doute le passage par « Internet » lui avait-elle montré des horizons illimités. Alors elle se mit à parcourir tous les cadres de la ruche puis à sortir et disparaître pendant quelques jours puis à revenir au palais, sans se soucier vraiment d’assurer sa descendance et la pérennité de sa famille d’adoption. En réalité cette reine vendue à bon prix n’était pas fécondée et une fois livrée ne pouvait plus l’être. Quant au certificat sanitaire, il avait dû prendre une autre direction sur la « toile » et n’arriva jamais à destination.
Cette histoire, vécue au printemps 2014, est parfaitement authentique. C’est un simple témoignage de la dérive actuelle de l’apiculture. Tout est disponible partout à tout moment pourvu qu’on sache le trouver. Il en va des reines comme cette reine « virtuelle », des paquets d’abeilles, du matériel… L’apiculteur pressé obtiendra ce qu’il voudra ou presque car le fournisseur, souvent peu scrupuleux, lui fournira ce qu’il demande. Mais dans cet échange il n’y a bien entendu aucune garantie. Quelle est donc l’origine de cette reine livrée fin avril ? Elle ne provient probablement pas de l’élevage de ce fournisseur « virtuel » qui doit se contenter de rechercher sur « le Web » quelques producteurs lointains « pas vraiment identifiés ». Il n’a d’ailleurs pas pris la peine d’en assurer la qualité. Dans ce cas précis la reine n’avait certainement pas été contrôlée en ponte avant sa livraison et le risque sanitaire ne pouvait être évalué puisque dépourvu d’une quelconque information d’origine.
Cette petite histoire, apparemment sans conséquence si ce n’est pour l’apiculteur, pourrait se conclure par une morale digne de Jean de la Fontaine : « L’apiculteur honteux et confus, jura mais un peu tard qu’on ne l’y prendrait plus ».
Mais transposons-la maintenant sur un autre plan aux conséquences assez prévisibles et certainement diaboliques pour nos ruches. Voilà que le petit coléoptère des ruches Aethina tumida entre dans nos vies d’apiculteurs ! Il avait pointé son rostre au Portugal il y a quelques années, sans conséquence cette fois-là. Chassé une première fois par la fenêtre, il revient par la porte italienne cette fois-ci ! Au vu des informations qui circulent et du nombre de foyers identifiés à cette date on se demande ce que les autorités ont bien pu « fabriquer » pour ne pas s’en apercevoir plus tôt. Au stade où nous en sommes, il paraît difficile de croire maintenant à une éradication certaine qui éviterait sa propagation dans le reste de l’Europe.
Jusqu’à ce jour, il rentrait dans ce groupe un peu théorique des quatre maladies des abeilles de catégorie 1 à déclaration obligatoire. On en parle dans certains cours de formation au chapitre sur la santé de l’abeille mais comme d’une réalité lointaine. Cette réalité est maintenant à notre porte. Sur ce sujet, les apiculteurs ont à nouveau leur destin entre les mains. Il y a une quarantaine d’années entrait dans nos ruches Varroa destructor. Internet n’existait pas encore mais les échanges incontrôlés allaient déjà bon train. On connaît maintenant les ravages provoqués par ce petit acarien parasite (affaiblissement et disparition des colonies, apparition de virus…) avec comme corollaire l’obligation de traiter les ruches pour en limiter les effets néfastes
Aujourd’hui avec le petit coléoptère des ruches, on s’agite de nouveau, la « réunionite aiguë » est en marche pour informer le monde apicole de ce nouveau fléau à venir ! C’est important, très important même ! Mais il faudrait aussi arrêter de faire n’importe quoi et ne pas se bercer d’illusions ! Par exemple il faut dépasser le stade des bonnes intentions et avoir le courage d’interdire l’achat des colonies sous quelque forme que ce soit (paquets d’abeilles, colonies en ruchettes, voire même les reines « virtuelles ») ainsi que tout matériel apicole usagé provenant de sources inconnues. Il faut aussi avoir le courage d’interdire toute importation de pays infestés comme c’est maintenant le cas en Italie.
Revenons aussi à des pratiques simples de division de nos propres colonies. C’est d’une facilité déconcertante car il suffit d’une belle ruche forte et saine, d’un corps de ruche additionnel, de quelques cadres fraîchement cirés et d’une grille à reine. De façon surprenante ce chapitre de l’élevage de reines et de la constitution de nouvelles colonies par division ne fait pas ou pratiquement pas partie du futur programme de formation en rucher-école*, tout au plus une ligne dans un programme de sept pages, étonnant non ? Pourtant l’on sait parfaitement que travailler avec de jeunes reines vigoureuses est indispensable pour contribuer à de bonnes productions. C’est en plus un des meilleurs remparts contre bien des maladies de la ruche. Enfin pour tout apiculteur passionné, c’est un grand moment de voir sa jeune reine commencer à pondre créant ainsi une belle chance de pérennité de son rucher. On lit dans les commentaires du projet de rucher-école « Le chapitre élevage de reine pourra faire l’objet d’une formation courte complémentaire, si elle est demandée par plusieurs élèves. En aucun cas, elle ne devrait être systématique, tout au moins la première année ». C’est certainement le contraire qu’il faudrait faire. Car même s’il n’est pas nécessaire de devenir un artiste du picking ou du « Cupularve », dès la formation des jeunes apiculteurs, il est indispensable de leur montrer et les convaincre de l’utilité de faire des divisions de ruches afin de constituer de nouvelles colonies ou de produire quelques cellules de reines. Cela n’a rien de compliqué et ne compromet en rien les productions de l’année. Outre l’avantage sanitaire déjà évoqué, cela éviterait bien souvent les essaimages des meilleures colonies. Enfin cela écarterait l’envie d’acheter ces reines « virtuelles » inconséquentes.
Travaillons avec nos abeilles locales, parfaitement adaptées à nos climats. Faisons naître de belles reines piliers de la qualité de nos ruchers. Et surtout ne donnons pas aux agrochimistes l’argument que ce sont les apiculteurs eux-mêmes avec leurs pratiques douteuses qui provoquent la disparition des abeilles alors qu’ils en portent une lourde responsabilité.
T.Duroselle
* Programme de formation en rucher-école en cours d’élaboration dans le cadre du plan de développement durable de l’apiculture (FranceAgriMer)