Les apiculteurs connaissent bien l’abeille domestique : Apis mellifera. Ils lui prodiguent beaucoup de soins tout au long de l’année. Ils sont également capables de parler de sa vie et de son organisation sociale pendant des heures.
Chacun d’entre nous peut ainsi expliquer le rôle de la reine, comment elle assure la pérennité de la colonie et comment elle favorise la cohésion dans la ruche.
Il en va de même pour les ouvrières, car nous savons qu’elles travaillent sans relâche à de multiples tâches pour le bien commun et qu’elles savent communiquer entre elles pour indiquer où se situent les sources de nourriture.
En cette époque d’environnement perturbé, on parle beaucoup des Abeilles et de leur rôle irremplaçable pour le maintien de la biodiversité. Mais en va-t-il de même de toutes les abeilles ? Et d’abord qui sont-elles et comment vivent-elles ?
Nous allons voir brièvement dans cet article qu’il y a en fait beaucoup d’abeilles, peut être 2000 espèces en Europe. Elles sont très différentes les unes des autres et leur organisation sociale rudimentaire ou même inexistante peut être à l’opposé de ce que nous savons de l’abeille domestique.
Commençons donc par prendre quelques repères chez notre mouche à miel afin de bien comprendre ce qui se passe chez les autres abeilles sur le plan social. Il y a une reine (femelle fécondée) qui peut vivre plusieurs années et dont la seule occupation est de donner naissance à tous les autres occupants de la ruche, les ouvrières et les mâles. Elle ne prend pas part à l’élevage des larves. Ce rôle est dévolu aux ouvrières qui, en plus d’assurer le « bien-être » de la reine, élèvent les nouvelles générations et leur assurent un apport en nourriture suffisant. Cette capacité à accumuler des réserves est particulièrement remarquable, car elle va permettre à la colonie (même réduite en hiver) de passer la mauvaise saison.
Regardons maintenant d’un peu plus près le monde des autres abeilles. Il regroupe en fait des abeilles aux comportements très variés : des abeilles“solitaires” c’est à dire qui ne forment pas de colonie, des abeilles “sociales” qui forment des colonies plus ou moins élaborées. Il y a même des abeilles “parasites” appelées aussi abeilles-coucou (par analogie aux oiseaux du même nom comme le coucou gris Cuculus canorus en Europe) elles déposent leurs oeufs et font élever leur progéniture par d’autres abeilles. Pour les deux premiers groupes d’abeilles “ les solitaires et les sociales” qui prennent en charge l’élevage de leurs larves, nous allons trouver tous les attributs des récolteurs de nectar et des cueilleurs de pollen : une langue plus ou moins longue pour aller au fond des corolles et des poils en abondance sur tout le corps. Mais toutes les abeilles ne constituent pas des pelotes de pollen sur leurs pattes postérieures, certaines amassent ce pollen sur leurs pattes arrières ou sur leurs brosses abdominales comme c’est le cas chez certaines Osmies, et Mégachiles.
Par définition, les abeilles solitaires n’ont pas de vie sociale. Chez quelques unes d’entre elles comme les Halictes, la reine fondatrice passe l’hiver seule et construit son nid au printemps. Mais chez la plupart, les reines et les mâles restent à un stade intermédiaire de développement pendant la mauvaise saison (stade imago par exemple), avant de s’accoupler aux beaux jours.
Il existe chez les abeilles solitaires une grande variété de nids aux formes et aux matériaux très divers : c’est une galerie plus ou moins élaborée, creusée dans un sol meuble ou sablonneux (cas des Collètes et des Andrènes ou abeilles des sables…) ou dans du bois creux (bambou, bois mort ou galerie de coléoptère) comme c’est le cas pour certaines Osmies et les Xylocopes (grosses abeilles bleues). Il y a aussi l’occupation d’une coquille d’escargot comme le font d’autres Osmies ou un creux de rocher ou de mur.
Ces galeries se terminent par des petites ramifications conduisant à des cellules peu nombreuses (quelques unités). Des matériaux variés, agglomérés avec de la salive, servent à l’élaboration des cellules : du sable ou des petits graviers, du bois, voire des morceaux de feuilles découpées sur des plantes herbacées ou des arbres comme le font les Mégachiles ou abeilles coupeuses de feuilles. D’autres comme les Anthidies ou abeilles cotonnières bâtissent leurs cellules avec des poils végétaux collés avec de la résine. Mais ici, pas d’alvéoles hexagonaux bien symétriques comme on aime à les admirer sur les cadres de nos ruches. Les cellules placées dans les galeries sont juxtaposées ou se suivent, simplement séparées par une paroi rudimentaire. Dans chacune d’elles la femelle dépose un oeuf sur un mélange de pollen et de nectar transformé ou non en miel. Il faut signaler à ce propos que nombre de ces abeilles sont inféodées à une ou quelques espèces végétales : les saules pour les Collètes et certaines Andrènes par exemple. Et bien qu’il n’y ait pas de comportement social, on peut observer chez certaines abeilles solitaires comme les Andrènes, les Halictes et les Chalicodomes, ou abeilles maçonnes, la réunion de nids en “bourgades” ou en “colonies” c’est à dire plus ou moins proches les uns des autres mais sans que se développe un vrai comportement social car chaque reine ne s’occupe alors que de son propre nid.
Les abeilles sociales ou “abeilles vraies” sont les Apidés et regroupent principalement les bourdons et l’abeille domestique. Elles ont en commun la production de cire pour l’élaboration des cellules du nid ou les alvéoles de la ruche et ce fameux dispositif de récolte du pollen. Celui-ci est constitué de la brosse située sur la face interne du métatarse et de la corbeille sur la face externe du tibia des pattes postérieures.
Chez les bourdons, les jeunes reines fécondées passent l’hiver à l’abri dans un trou sous terre ou dans une anfractuosité d’arbre ou de rocher. Au printemps elles recherchent une cavité qui peut être dans le sol (anciens nids de petits mammifères, trous dans les murs…). Une fois choisi le nouvel emplacement, elles commencent à bâtir un embryon de nid avec des débris végétaux qu’elles vont tapisser intérieurement de cire). Puis elles vont construire une première cellule de forme arrondie dans laquelle elles vont mettre du pollen et pondre plusieurs oeufs (jusqu’à une dizaine). Autour de ce cocon primaire, elles construisent d’autres petites cellules qu’elles remplissent de pollen afin de permettre aux larves de pénétrer dans ces loges et de se nourrir. A proximité de ces cellules d’élevage elles vont également construire des sortes de réserves de miel afin d’assurer la nourriture des mauvais jours. Au fur et à mesure que le nombre d’ouvrières croit, la reine va se consacrer quasi exclusivement à la ponte et à l’élevage des larves, les ouvrières se chargeant du butinage. A la fin de la belle saison, apparaissent les reines vierges et les mâles. Les colonies de bourdons ne dépassent pas quelques centaines d’individus 100 à 200 individus pour le bourdon des champs (Bombus pascuorum) et jusqu’à plus de 500 individus chez le bourdon terrestre (Bombus terrestris). Le comportement social des bourdons se rapproche donc de celui de l’abeille domestique : on y retrouve les même castes, le partage du travail…La grande différence étant que les colonies de Bourdons disparaissent complètement à l’approche de l’hiver.
Le cas des abeilles parasites est assez singulier. Il en existe chez les abeilles solitaires et chez les bourdons. Assez souvent elles ressemblent à leurs hôtes, sans doute pour mieux se faire accepter. Chez elles, bien entendu, il n’y a pas de vie sociale organisée. Mais leur habitude de faire élever leur progéniture par les autres abeilles montre une grande adaptabilité comportementale.
En résumé, vous l’aurez compris, cet article n’a pas pour but de faire une revue systématique du monde des abeilles qui, même pour les spécialistes, est assez difficile à cerner. Il veut seulement souligner qu’il y en existe une grande variété, qu’elles ont des moeurs sociales très différentes les unes des autres, et que, de façon surprenante, la forme solitaire semble dominer au moins par le nombre d’espèces concernées.
Toutes ces abeilles sont collectrices de nectar et de pollen, quelquefois sur très peu d’espèces végétales. Elles participent ainsi à la formidable « alchimie » de la pollinisation qui favorise la biodiversité.
Pour autant, vivant dans des milieux souvent proches de nous, chemins, prairies, haies et forêts, vieux murs etc., elles sont généralement très discrètes car peu populeuses et ne présentant une phase adulte que durant une courte période de l’année. Les formidables bouleversements de leurs biotopes, fréquemment induits par la proximité de l’homme, les rendent vulnérables et concourent à la disparition de bon nombre d’entre elles.
Note : dans ce texte j’ai fait le choix d’écrire abeilles et bourdons sans majuscule (sauf une fois) considérant l’usage courant de ces mots. Pour les autres abeilles, j’ai utilisé le dérivé français du nom de genre latin en conservant la majuscule, par exemple Andrènes (genre Andrena) ou Osmies (genre Osmia).
Pour en savoir plus :
- Bellmann, H., 1999, Guide des abeilles, bourdons, guêpes et fourmis d’Europe, Delachaud et Niestlé.
- Villemant, C., 2005, Insectes 13, n° 137.
- ALARM (Assesing LArge-scale environmental Risks for biodiversty with tested Methods), un programme européen pour sauvegarder les pollinisateurs : http://www.alarmproject.net