L’âge de la retraite étant proche, je voulais faire revivre une vieille passion qui était née lorsque mon père s’occupait de quelques ruches au fond de son jardin.
En cette année 2000, j’avais donc acheté 4 ruches vides à un apiculteur pour démarrer un petit rucher situé dans mon Perche natal. Dans cette attente, j’avais entreposé ce matériel dans ma maison de Courbevoie. Non sans intentions, j’avais disposé une ruche dans le jardinet et très vite j’eus le bonheur de repérer la visite de quelques abeilles qui ne tardèrent pas à dépêcher une avant garde. J’attendais avec impatience l’arrivée de l’essaim. Il se présenta en plein milieu des épreuves du Bac de mon fils Guillaume qui, de retour à son home, eût la stupéfaction de voir un quartier en émoi où pavoisaient des écriteaux : « ATTENTION ! DANGER ! ABEILLES ».
Dans le nuage d’hyménoptères, notre potache bien brave regagne fébrile son domicile, et me donne coup de fil chargé de reproches. Je le rassure aussitôt : « J’arrive par le premier métro. Tiens bon le logis clos, celui qui franchira ces murs en répondra devant la justice ».
J’arrive sur les lieux : ce ne sont que pompiers et gens de quartier qui jouent les affolés car ce nuage d’insectes n’a pas trouvé mieux que de raser les petites têtes de l’école maternelle avant de se réfugier dans ma ruche. De mes paroles : « tout doux mes belles » certains se méprennent mais voient très vite que je parle à mes abeilles et que je domine la situation, libérant ainsi cette ville assiégée.
Elles sont maintenant installées dans la ruche, dissimulée au regard des voisins immédiats. Je n’ose les brusquer, nous restons calfeutrés une semaine en attendant le week-end pour les transporter à la campagne, lorgnant chaque jour leur va et vient perpétuel, elles fusent comme des balles de mitraillette vers la voûte céleste entre les 2 érables et l’unique laurier des voisins.
Enfin vendredi ! Le plan d’attaque est prêt : ce soir quelques coups d’enfumoir feront rentrer l’essaim pour toujours dans son dortoir. Mon épouse observe : « ce n’est pas possible, nous sommes conviés à dîner et demain nos voisins reçoivent dans leur jardin pour la fête de la musique, il n’est pas question de semer à nouveau la panique chez tous ces citadins ».
Alors, partie remise après la boum de mes chers voisins qui nous ont bercés toute la nuit avec leur zimboumboum. Je me lève à 5 heures, attendant que les derniers invités s’arrachent de leur brume d’alcool et que cette musique cesse, pour qu’à mon tour je mène l’orchestre. Le silence d’or ne se fait plus attendre. J’officie in petto, enfumant la garde qui très vite ne « queute » plus à l’entrée de la ruche. Je referme la portière, quelques abeilles s’échappent aux deux extrémités que j’obstrue avec mes deux pouces. Je lâche prise pour poser à leur place un morceau de cire afin d’emprisonner mes pensionnaires durant leur transport dans le Perche.
Pour cette expédition, mon épouse me propose sa « Peugeot 106 » mais après réflexion, je conclus sans aucune pointe d’orgueil que ma reine et son cortège emprunteront le carrosse royal « Peugeot 605 ».
Tout s’est bien passé et Guillaume voyant l’ardeur de mes troupes s’est mis à travailler dare-dare, ne craignant plus ces fameux dards, si bien qu’une semaine plus tard, le succès était là. Le Bac fut copieusement arrosé au nez et à la barbe de tout ce quartier qui nous avait stressés quelques temps avant.
En souvenir, j’ai baptisé ma ruche « Mitraillette ». Depuis, chaque année, j’ai le plaisir de récolter et de goûter ce fameux miel de mitraillette dont les paillettes d’or m’apportent grand réconfort.