Les abeilles à Paris.
C’est un fait maintenant bien établi : les abeilles des campagnes sont en danger [1] ; des pertes de colonies supérieures à 50, voire 80 % sont communément rapportées dans les ruchers en plaine et les origines de ces pertes font encore débat ;
ainsi à la fin de l’hiver, l’apiculteur découvre les ruches désertées par ses occupantes, souvent sans même trou ver des abeilles mortes sur les cadres ou sur le plateau de fond. Paradoxalement, les ruchers situés en ville ne rencontrent pas ces problèmes. A ce jour, aucune perte de colonie de ce type n’a été constatée dans les ruchers parisiens de la Société Centrale d’Apiculture (S.C.A.) qui comptent une quarantaine de ruches à Paris et, en comptabilisant les colonies bourdonneuses ou faibles à renforcer à la sortie de l’hiver, les pertes se situent entre 5 et 10% ces dernières années.
Les abeilles citadines se portent bien, mais qu’en est-il de leur miel ? Cette question qui est souvent posée est légitime dans la mesure où certains jours, le niveau de pollution est élevé dans les villes, ce qui a d’ailleurs conduit des apiculteurs parisiens à admettre que leur miel devait probablement contenir des métaux lourds, en particulier du plomb.
Le miel à Paris.
Les abeilles des Ruchers Ecole du Jardin du Luxembourg et Pédagogique du Parc Georges Brassens produisent un miel recherché des parisiens qui viennent se le procurer aux Fêtes du Miel le dernier week-end de septembre et le premier week-end d’octobre sur les lieux de production ; ainsi ces dernières années, la production annuelle a oscillé entre 30 et 50 kg par ruche. La S.C.A., soucieuse de la qualité des produits qu’elle propose aux citadins, fait périodiquement analyser le miel de ses abeilles au Laboratoire Central de la Préfecture de Police de Paris afin d’y détecter d’éventuelles traces de plomb. Avec une limite de détection (LD) relativement basse de 50 μg/kg, le laboratoire ne détecte aucune trace de plomb dans les échantillons de miel provenant des deux ruchers parisiens de la S.C.A. Cette valeur de 50 μg/ kg est à rapprocher :
- des taux de plomb mesurés en moyenne dans nos aliments : par exemple 100 μg/ kg pour les fruits, 50 μg/ kg pour les pommes de terre, pour des apports énergétiques moindres que le miel (voir figure 1) [2].
- de l’apport journalier moyen (AJM) en plomb : 52 μg en France pour un adulte et de la dose journalière tolérable (DJT) qui est fixée en Europe à 215 μg [3]
A ce propos, on peut remarquer que si les besoins énergétiques journaliers d’un individu (11 300 kJ ou 2 700 kcal) étaient entièrement couverts par du miel (900g), en prenant pour hypothèse un taux de contamination égal à la limite de détection, l’AJM serait au plus de 45 μg, c’est-à-dire très inférieur à la DJT.
En résumé, bien que la limite de détection soit basse, les résultats de ces analyses sont probants. Alors pourquoi entend-on dire que le miel des villes, en particulier de Paris, serait pollué ?
La pollution à Paris.
Une première remarque concernant les polluants chimiques issus des traitements agricoles ou horticoles : si les arbres nectarifères des villes (prunus, faux acacias, tilleuls, sophoras,…) n’ont jamais été traités par des produits chimiques comme le sont aujourd’hui les arbres fruitiers des grands vergers de production des campagnes, l’usage des pesticides était autrefois courant pour entretenir les parterres des parcs. Depuis plusieurs années maintenant, les jardiniers communaux des parcs et jardins ont fortement réduit les traitements chimiques pour revenir au traitement mécanique ou parfois thermique, il n’y a donc pas de raison de suspecter une pollution d’origine agricole ou horticole dans le miel de la Capitale comme cela pourrait être le cas dans des régions de grande culture.
En revanche, bien qu’en diminution ces dernières années, les polluants atmosphériques détectés par Airparif sont nombreux : principalement ozone, oxydes de soufre, oxydes d’azote, particules de carbone, mais ils n’affectent directement que l’appareil respiratoire. Qu’en est-il alors de la pollution par le plomb ?
Première remarque : le plomb tétra éthyle qui polluait l’atmosphère des villes n’est plus utilisé comme anti-détonnant dans les carburants depuis une quinzaine d’années et est interdit à la vente depuis 2000 dans la Communauté Européenne ; le taux de plomb mesuré dans l’air parisien est de l’ordre de 0,05 μg/m3, ce qui fait écrire à Airparif « Aujourd’hui, le plomb n’est plus un indicateur de pollution automobile car ses concentrations ont considérablement baissé depuis l’utilisation, bien généralisée en Ile-de-France, de l’essence sans plomb » [4]. Si plomb il y avait dans le miel, quelle en serait alors l’origine ?
Flux des entrées/sorties dans une ruche
La figure 2 montre les possibilités de contamination du miel à l’intérieur d’une ruche :
- soit directe par le nectar qui est transformé en miel,
- soit indirecte par le pollen et l’eau consommés par les larves et les abeilles, puis par transfert de l’élément polluant de l’abeille vers le miel ; bien qu’aucune donnée n’ait été trouvée dans la littérature sur ce sujet, cette possibilité ne doit pas être exclue a priori.
Le bilan annuel des éléments entrant et sortant d’une ruche a été établi (figure 3) par JEAN-PROST dans son livre « Apiculture » [5] Ces données sont certes discutables (le bilan « cire » serait à préciser et qu’en est-il par exemple pour une ruche produisant 50 kg de miel au lieu de 20 kg ?), mais elles n’en fixent pas moins des ordres de grandeur à partir desquels des calculs très simples peuvent être effectués. - la colonie consomme 30 kg d’oxygène nécessaire à la respiration des abeilles et des larves soit environ 100 m3 d’air ; en prenant un taux de pollution enregistré à Paris par Airparif de 0,05 μg/m3, il rentre 5 μg de plomb lié à l’atmosphère parisienne. Cette quantité est donc négligeable.
- les abeilles rapportent à la ruche 240 kg de nectar qui est transformé en miel pour la consommation humaine, mais également pour celle des abeilles et de leurs larves ; à notre connaissance, il n’existe pas de recherche de plomb dans le nectar. Les résultats des analyses effectuées par le Laboratoire Central de la Préfecture de Police de Paris montrent qu’aucune présence de plomb n’est détectable sur des échantillons de miel provenant des ruchers parisiens de la SCA. Or la zone de butinage des abeilles de la SCA, celles du Jardin du Luxembourg en particulier, couvre en grande partie le centre historique de Paris ; on peut donc en déduire que, si pollution au plomb il y a dans certains miels de Paris au-delà d’une teneur de 50 µg/kg, cela ne peut pas avoir pour origine le nectar récolté.
- le pollen est très riche en sels minéraux [6], mais il existe peu d’analyses concernant le plomb ; néanmoins les mesures qui ont été effectuées en Angleterre sur 4 échantillons avant 1998, date à laquelle les carburants contenaient encore du plomb, donnent des valeurs comprises entre 40 et 200 μg/kg [7]. Comme pour le nectar, le pollen issu des mêmes fleurs parisiennes ne peut pas être à l’origine d’une teneur en plomb supérieure à 50 μg/ kg dans les miels de la Capitale.
- la colonie consomme environ 10 l d’eau, principalement utilisée pour nourrir le couvain ; depuis 2003, la norme européenne fixe un taux limite de 25 μg/l de plomb pour l’eau potable ; cette valeur permet d’écrire que la quantité de plomb apportée à la ruche pour ses besoins hydriques serait au maximum de 250 μg.
Le plomb entrant est en partie éliminé par :
- les abeilles qui vont mourir hors de la ruche,
- leurs déjections,
- les cires retirées par l’apiculteur,
- et enfin le miel extrait à des fins alimentaires.
Comment se fait-il alors qu’on entend encore dire que le miel parisien est contaminé par le plomb ?
De fait à Paris les abeilles respirent le même air et butinent les mêmes fleurs, mais apportent-elles toutes la même eau à la ruche ?
L’eau pourrait-elle être à l’origine d’une contamination de certains miels parisiens par le plomb ?
Si l’atmosphère de nos villes est de moins en moins contaminée par le plomb, il n’en demeure pas moins que les eaux de ruissellement parisiennes sont chargées en métaux lourds les plus néfastes pour la santé parmi lesquels le plomb occupe quantitativement la première place (devant le cadmium et le mercure). Ainsi, durant les évènements pluvieux, la concentration en plomb qui peut avoir une origine naturelle (érosion éolienne, volcanisme,….) ou anthropique (chauffage, usine d’incinération, …) peut varier de 25 à 250 μg/l pour les chaussées urbaines de Paris (note.9).
Quelle est alors l’origine du plomb contenu dans les eaux de ruissellement parisiennes ?
Un étude effectuée en 2006 sur le bassin versant du quartier du Marais [8] répond à cette question : près de 90 % de cette contamination provient de l’eau de pluie évacuée des toitures, eau contaminée par des métaux lourds utilisés comme matériaux pour l’étanchéité des bâtiments, principalement le zinc avec ses impuretés liées au premier rang desquelles se place le cadmium, et bien sûr le plomb utilisé pour les rives, les noues et les raccords. En fait ces métaux se retrouvent sous forme de particules et de sels, nitrates, et nitrites très solubles dans l’eau, et sulfates ou carbonates beaucoup moins solubles, résultants de l’attaque des oxydes et hydroxydes par les polluants atmosphériques : oxydes d’azote et de soufre. De plus il faut prendre en considération la forte dispersion des teneurs en plomb qui varient énormément en fonction des matériaux utilisés pour la couverture des bâtiments, leur état, la pente des toitures, etc.. . Ainsi pour les 11 toitures étudiées dans le cadre de l’étude citée en référence (note. 8) un taux de contamination approchant 10 mg/l a été mesuré et dans le cadre de l’étude, cette valeur a dépassé 20 mg/l pour certains évènements pluvieux [9].Bien qu’aucune donnée ne puisse être avancée pour le plomb en particulier, il faudrait également considérer sa concentration :
- dans le tout premier écoulement après une période sèche,
- dans l’eau stagnante dans le cas de canalisation obstruée,
- dans l’eau résultant de la condensation (effet de paroi froide).
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Heureusement, une fois évacuées de la toiture, ces eaux, très attractives pour les abeilles compte tenu de leur charge minérale, ne sont pratiquement plus accessibles. Les abeilles des ruchers de la S.C.A ne vont très probablement pas collecter les eaux contaminées des toits car elles disposent d’une réserve d’eau à proximité. D’autre part les rapports cités précédemment (note. 8 & 9) montrent, nous l’avons dit, une très forte dispersion des taux de pollution suivant les toitures ; ainsi de manière générale, les eaux de ruissellement venant des immeubles situés dans le cœur historique de Paris avec leur toiture en zinc ou ardoises et leurs rives et noues en plomb ancien sont plus chargées en métaux lourds qu’en périphérie parisienne ; de plus il est probable qu’une fraction significative de ces métaux présents sous forme de particules ne soit pas recueillie par les abeilles . Et surtout il n’est pas certain que le niveau de pollution de ces eaux, dans certains cas relativement élevé, conduise à une contamination du miel. En effet l’eau rapportée à la ruche par les abeilles est principalement utilisée pour nourrir les larves, surtout en fin d’hiver et au début du printemps lorsqu’il y a peu de nectar à concentrer ; seule une fraction du plomb entrant dans la ruche se retrouve donc dans le miel extrait à des fins alimentaires.
En conclusion, la grande majorité des miels parisiens ont très probablement une teneur en plomb bien inférieure à la limite tolérable comme tendraient à le prouver les analyses effectuées périodiquement par la SCA. De toute façon, si pollution du miel il y a, celle-ci n’a pas pour origine les fleurs butinées dans la Capitale.