À l’extrémité sud-ouest du parc de Saint Cloud qu’affectionnait Marie-Antoinette au point de faire effectuer des transformations importantes au château, aujourd’hui disparu, est installé un rucher de la Société Centrale d’Apiculture depuis 1974.
Les adhérents de ce rucher viennent y mettre en application leurs connaissances et bénéficier du savoir des plus aguerris, dans bien des cas après l’enseignement reçu au Rucher Ecole du Jardin du Luxembourg.
Et, dans ce cadre majestueux, il n’est donc pas étonnant que cette vingtaine d’apiculteurs s’adonnent à des pratiques que tout républicain bon teint devrait réprouver, la sélection et l’élevage de reines.
[bleu marine]La sélection[/bleu marine]
Dans une série de cinq articles parus dans « L’Abeille de France » d’octobre 2003 à février 2004 Gilbert Prouveur, qui a créé ce rucher, a expliqué en s’appuyant sur la génétique comment a fonctionné la sélection naturelle et a indiqué par quels moyens il est possible, en pratiquant une sélection restauratrice, de corriger les dérives dont l’homme est responsable.
Le titre même de cette série d’articles, Du paradis perdu au paradis retrouvé, traduit parfaitement l’idée principale.
En résumé, la sélection naturelle avait bien fait les choses en adaptant l’abeille de chaque région à son écosystème et pour notre pays en effectuant une très longue évolution qui a abouti aux écotypes de l’abeille noire, particulièrement adaptés à notre climat et notre flore.
Mais l’homme a voulu forcer la nature, pensant obtenir davantage de son cheptel ; il est donc allé chercher au loin des abeilles adaptées à d’autres écosystèmes, qui ont pu dans un premier temps lui donner satisfaction mais qui, ensuite, se croisant avec les abeilles locales, ont donné des résultats aléatoires.
Afin de retrouver notre écotype, il a été pratiqué une sélection parmi les colonies du Rucher en se basant tout d’abord sur les qualités de douceur, de tenue au cadre, de propreté etc……et ensuite en utilisant l’analyse de l’indice cubital et, enfin en élevant des reines issues des colonies ainsi sélectionnées.
Des années durant ce fut un succès et puis les reines se sont mises à fréquenter trop de faux bourdons de tous genres et, à la suite de ces croisements, les abeilles sont devenues agressives. Ce n’est pas très conseillé dans un rucher collectif implanté dans un site public et qui a comme voisin immédiat un centre de réinsertion de jeunes.
Il a donc été décidé en 2008 de lancer à Saint Cloud une opération d’envergure en élevant de nombreuses reines à partir d’une colonie présentant toute garantie.
[bleu marine]Mise en œuvre de l’élevage[/bleu marine]
La première phase de l’opération a été le transport en Avril d’une colonie en ruchette de l’Ile d’Ouessant jusqu’à Saint Cloud. Il faut préciser, qu’en raison de la situation de cette île au large du Continent, l’Association du Conservatoire de l’Abeille Noire Bretonne, Kevredigehz Gwenan dû Breizh, y a installé ses ruchers à l’abri de toute hybridation intempestive.
La deuxième phase a pu être lancée après avoir vérifié que la colonie bretonne se développait dans des conditions optimales. Elle a consisté à choisir des colonies éleveuses, à les stimuler, puis à y implanter des cellules contenant des larves prélevées dans la colonie d’Ouessant.
La première opération de cette phase consiste à sélectionner des colonies très actives et à les orpheliner ; ce seront les colonies éleveuses.
Dans la deuxième opération on stimule la faculté d’élevage de ces colonies en leur proposant des cellules contenant de jeunes larves prélevées sur une ruche quelconque avec la même technique que ce qui va être décrit dans la troisième opération. Pour passer à l’opération suivante il faut s’assurer trois jours après que les colonies ont bâti des cellules royales à partir des larves d’ouvrières qui leur avaient été fournies.
La troisième opération peut alors être conduite : ces cellules royales sont supprimées et sont remplacées par des cellules contenant de jeunes larves, de 1 jour si possible ou à défaut de 2 jours au plus, prélevées ce coup ci dans la colonie venue de l’île d’Ouessant .
L’opération est délicate, elle consiste à découper dans un cadre de couvain un petit morceau de cire contenant cette cellule avec sa larve et de le fixer dans une petite pince à dessin en évitant d’endommager la cellule ; enfin de placer le système suspendu à une allumette entre deux cadres de couvain de la ruche éleveuse un peu plus écartés que la normale. Sont ainsi implantées une bonne quinzaine de cellules avec jeune larve dans chaque ruche éleveuse avec l’espoir que la colonie orpheline construise des cellules royales et les nourrissent en conséquence.
Huit à neuf jours plus tard nous abordons la troisième phase. Après avoir vérifié qu’un certain nombre de cellules royales ont été construites à partir des cellules provenant de la colonie d’Ouessant implantées dans la ruche éleveuse, les cellules d’où une jeune reine va bientôt sortir sont introduites dans les ruches receveuses d’où les anciennes reines ont été retirées 3 à 4 heures auparavant et d’où tout élevage royal éventuel a été supprimé. Il va sans dire que toutes ces opérations doivent être conduites avec délicatesse et en évitant d’exposer au soleil les larves et les cellules.
[bleu marine]Résultats[/bleu marine]
Ainsi les colonies ont, si tout se passe bien, une nouvelle reine descendante de la lignée d’Ouessant. Cette nouvelle reine est née environ deux jours après l’introduction de la cellule royale dans la ruche receveuse. Elle effectuera son vol nuptial une semaine après sa naissance, si le temps le permet. Après beaucoup d’inquiétude, et alors que les conditions climatiques étaient très mauvaises, il a pu être constaté que le succès était au rendez-vous puisqu’un seul échec a été relevé.
En employant le terme manant dans notre titre nous sommes loin de vouloir jeter le discrédit sur les apiculteurs amateurs dont nous faisons partie et nous utilisons le sens premier de ce mot qui est celui d’habitant d’un bourg ou d’un village. Et même s’ils habitent la campagne, nous souhaitons à tous ces apiculteurs de s’adonner aussi à ces activités passionnantes de promotion de l’abeille noire et d’élevage de ses reines.