Pesticides – OGM – Vespa velutina
Nous invitons cette année deux conférenciers très engagés dans la lutte pour le maintien de la biodiversité, la préservation de l’abeille, en un mot : notre avenir sur la planète Terre.
Pesticides, Plantes Génétiquement Modifiées (PGM) et autorisations de mise sur le marché, quelles conséquences pour les abeilles ?
Au cours de cette journée placée sous la présidence dynamique de Madame Geneviève GAILLARD, députée-maire de Niort, quatre questions cruciales pour l’avenir de l’abeille et plus généralement pour les insectes ont été débattues. Pour chaque question il n’y a pas de réponse simple mais, à des degrés divers, des observations voire des données scientifiques qui alimentent fortement le débat. Ces questions sont sorties maintenant du cadre restreint de l’apiculture pour être saisies par le grand public. L’année internationale de la biodiversité va certainement amplifier ce phénomène. La Société Centrale d’Apiculture se devait de faire le point sur ces sujets et bien entendu de favoriser le débat.
1 - Mieux connaître le frelon asiatique (Vespa velutina nigrithorax)
2 - Les modalités actuelles d’enregistrement des produits phytosanitaires correspondent-elles aux progrès accomplis dans ce domaine ?
3 - La téléphonie mobile a-t-elle une responsabilité dans le phénomène de disparition des abeilles ?
4 - Les plantes à pesticides : quels risques pour les abeilles et la biodiversité ?
- Conclusion
1 - MIEUX CONNAÎTRE LE FRELON ASIATIQUE (VESPA VELUTINA NIGRITHORAX)
conférence d’Alain SANDMEYER - responsable du rucher école du Jardin du Luxembourg
Le frelon européen (Vespa crabro) est bien connu pour venir rôder près des ruches et capturer des abeilles. Mais son alimentation se compose aussi de bien d’autres sources de protéines et de sucres. Au printemps les femelles fondatrices recherchent une cavité ou un endroit abrité de la pluie pour édifier le nid qui comptera quelques centaines d’individus (rarement plus de 1000) au plus fort de l’été. Mais dans nos régions, un équilibre naturel s’est établi entre ce frelon et ses proies.
Il n’en va pas de même pour un frelon asiatique (Vespa velutina nigrithorax) qui est arrivé il y a 5 ans environ dans le sud-ouest de la France. Son expansion est rapide. Il cause des dégâts importants aux ruchers. En effet il a une stratégie de développement bien plus sophistiquée que son « cousin » européen. Il est plus précoce et les femelles fondatrices volent dès la fin février. Elles établissent un nid primaire pour élever une première génération d’insectes. Puis un nid secondaire va être construit à peu de distance du premier sur une branche d’arbre et à bonne hauteur le rendant généralement invisible. Ce nid va se développer considérablement par ajouts successifs jusqu’à abriter une population double ou triple de Vespa crabro. C’est à ce moment - période comprise entre juillet et octobre – que ce nid se transforme en une redoutable machine prédatrice, le besoin en protéines étant alors énorme. On estime qu’un nid de Vespa velutina consomme en moyenne 300.000 insectes par an dont 135 000 de nos abeilles.
Ce nouvel envahisseur fait courir deux types de risques.
D’une part, aux colonies d’abeilles et autres insectes (en particulier les pollinisateurs). Il peut en effet détruire les colonies non seulement en capturant les abeilles mais aussi par son vol stationnaire devant les entrées de ruche. Le stress ainsi créé empêche les butineuses de sortir. Cette période de fin d’été, début d’automne correspond à une étape cruciale de la vie de la ruche car c’est le moment où se préparent les abeilles d’hiver et se constituent les provisions qui permettront à la colonie de passer la mauvaise saison.
D’autre part sur la population des villes. Comme c’est un insecte arboricole qui peut s’établir n’importe où (pourvu qu’il ait de bonnes sources de bois et d’eau pour élaborer la pâte à papier dont il se sert pour confectionner son nid et de bonnes sources de nourriture et en particulier de protéines grâce à la concentration croissante des ruches) ,il trouvera donc dans les grandes agglomérations des conditions de vie idéales. Ce qui peut représenter une grave menace pour le public.
Que peut-on faire ? Actuellement plusieurs pistes sont explorées :
- Le piégeage pour attraper les femelles fondatrices tôt en saison (avant la mi-mai). C’est une époque qui offre semble t-il peu de risques pour les autres insectes. Plusieurs types de pièges ont été décrits, mais il n’y a rien de définitif pour l’instant.
- La recherche active et la destruction des nids : c’est un travail de spécialistes mais qui offre l’avantage d’une destruction avant qu’il n’y ait trop de dégâts sur les ruches alentour et que ne commence la production de la nouvelle génération de femelles fondatrices. Le nid devra alors être détruit par le feu dans les 24 heures pour éviter tout impact sur la faune locale.
- Une réduction des entrées de ruches (5 mm) pour l’empêcher de pénétrer dans les ruches.
Cependant des moyens plus efficaces doivent être trouvés comme des phéromones spécifiques rendant son piégeage plus efficace et plus sélectif. Il faut également reconsidérer son statut. D’insecte invasif, il doit être classé comme insecte nuisible (pour les abeilles mais aussi pour bon nombre de productions agricoles…) afin de renforcer la coordination de la lutte.
2 - LES MODALITÉS ACTUELLES D’ENREGISTREMENT DES PRODUITS PHYTOSANITAIRES CORRESPONDENT-ELLES AUX PROGRÈS ACCOMPLIS DANS CE DOMAINE ?
conférence de Janine KIEVITS – membre du C.A.R.I belge
Apiculteurs et entomologistes s’accordent pour décrire une disparition importante des abeilles et plus généralement des insectes pollinisateurs depuis une vingtaine d’années. Or comme le dit très justement la conférencière ils sont « la clé de voûte de la biodiversité ». En outre une étude récente a montré que les effets positifs de la pollinisation représentent aujourd’hui près de 10% de la valeur de la production alimentaire. Alors, comment se fait-il que ce phénomène de disparition devienne un fléau planétaire ?
Des causes multiples sont aujourd’hui recensées. Des maladies propres aux abeilles, en passant par des parasites et les modifications de l’environnement sans oublier l’agriculture intensive et son corollaire qui est un emploi massif de nombreux produits phytosanitaires. Ce qui fait dire à certains que la cause profonde est multifactorielle et qu’il n’y a pas de vrai coupable !
Pour autant, chez l’abeille domestique, le phénomène semble s’être amplifié avec les insecticides systémiques qui servent à l’enrobage des semences. En effet, on sait maintenant qu’ils agissent non seulement par contact comme c’était le cas des insecticides plus anciens avec une action létale aiguë sur les colonies d’abeilles mais surtout par un effet chronique (plus progressif dans le temps). On observe en effet que le produit absorbé par la plante réapparaît progressivement dans les exsudations des feuilles, puis dans le nectar et le pollen quand elle fleurit. Un effet toxique différé se développe alors car les provisions accumulées dans la ruche ne sont pas toujours consommées immédiatement.
Ces changements profonds dans le mode d’action de ces produits n’ont pas encore été pris en compte dans les textes réglementaires qui régissent leur autorisation de mise sur le marché.
Ce qui prévaut à ce jour est qu’un produit doit établir « qu’il n’a pas d’influence inacceptable sur l’environnement » selon la directive 91/414/CEE. Les tests sont donc réalisés pour démontrer que les produits n’ont pas d’effet aigu (avec comme critère de référence la seule DL 50).
Or, les insectes en général et les abeilles en particulier qui consomment de l’eau, du nectar et du pollen pour leurs besoins propres mais surtout pour le développement des colonies, vont être soumis à de multiples expositions à ces produits.
Qu’est ce qui a déjà été fait, et que peut-on faire ?
En Europe, la mobilisation des apiculteurs a permis l’interdiction ou le refus d’homologation de certains produits sans que pour autant tous les pays membres n’adoptent de façon unanime ces décisions. La confusion est entretenue par le fait que certaines molécules sont interdites pour certaines cultures et pas pour d’autres. Malgré tout, cette mobilisation commence à sensibiliser le grand public et un certain nombre de décideurs.
Mais le fond du problème reste que les dossiers d’homologation ne prennent pas en compte l’exposition chronique qui est le mode d’action spécifique de ces produits. Aux études d’exposition immédiate provoquant une mortalité aiguë (contact par épandage, eau, poussières…) il faut ajouter des études de mortalité chronique sur de longues périodes (cycle apicole) afin de mieux mesurer les expositions au pollen et au nectar/miel. Sur cette base il faudrait établir une batterie de tests qui prendraient en compte :
- la molécule elle-même et la mesure de son seuil de toxicité (PNEC/PEC),
- des tests sur un certain nombre d’insectes de référence comme l’abeille (et non plus seulement sur les insectes ravageurs cible) en évaluant leur comportement global, leur capacité d’orientation et de retour à la ruche, leur locomotion, leur durée de vie, leur capacité immunitaire, l’activité de la reine…
- les effets synergiques existant avec d’autres molécules employées lors de la même application voire vendues déjà mélangées et prêtes à l’emploi,
- l’effet systémique recherché et la diffusion du principe actif dans les différentes parties de la plante au fur et à mesure de sa maturation.
C’est évidemment un chantier important. Mais la logique existe déjà si l’on veut bien considérer les dossiers d’enregistrements des médicaments à usage humain. Ces dossiers d’évaluation doivent donc être adaptés aux substances et aux modes d’action nouveaux en prenant en compte les différentes voies d’exposition. Ils doivent respecter un niveau d’exigence et d’indépendance scientifiques avec en corollaire une vraie expertise publique. Car on sait qu’il n’y a pas de barrière entre le règne végétal, le règne animal et l’homme.
3 - LA TÉLÉPHONIE MOBILE A-T-ELLE UNE RESPONSABILITÉ DANS LE PHÉNOMÈNE DE DISPARITION DES ABEILLES ?
conférence de Daniel FAVRE – biologiste suisse
Avec le développement spectaculaire des téléphones mobiles et des antennes relais certains pensent que les ondes émises ont une influence sur le comportement des abeilles. Ceci serait en rapport avec les cristaux de magnétite qu’elles possèdent dans leur corps et qui jouent un rôle dans leurs capacités d’orientation. C’est aussi le cas pour de nombreux autres animaux comme par exemple les oiseaux migrateurs capables d’accomplir de longs voyages et de revenir à leur nid chaque année.
Ce qui manque cependant pour avancer objectivement sur cette question est la réalisation d’études scientifiques précises. Le Dr Favre nous a présenté la méthodologie et les premiers résultats d’une étude en cours de publication. Les résultats obtenus tendraient à montrer que les abeilles réagissent selon la puissance d’émission. Il a noté par exemple que le bruit de la ruche pouvait changer en fonction d’un certain seuil et que ce bruit était assimilable à celui que font les abeilles en phase de préparation de l’essaimage. A la suite de cette présentation s’est développée une très intéressante discussion « d’experts » sur les fréquences, les puissances d’émission, les champs magnétiques…
La réunion de ces connaissances devrait permettre de mieux concevoir les études à venir. Par ailleurs des apiculteurs ayant des ruchers à proximité d’antennes à forte puissance ont également fait état de perturbations dans les ruches. Tout ce débat montre que les effets ne sont sans doute pas négligeables mais que ces travaux (et d’autres) doivent être amplifiés avec des méthodologies rigoureuses pour mieux les comprendre.
4 – LES PLANTES À PESTICIDES : QUELS RISQUES POUR LES ABEILLES ET LA BIODIVERSITÉ ?
conférence de Lilian CEBALLOS – chercheur indépendant, consultant en Ecologie et Agrobiologie
Parmi les plantes génétiquement modifiées (PGM) qui sont développées depuis une quinzaine d’années il faut différencier les plantes tolérantes aux herbicides (HT) et les plantes à pesticides (Bt). Il existe aussi des plantes qui sont à la fois HT et Bt.
Les premières sont conçues pour tolérer les herbicides qui vont agir sur les plantes adventices, les « mauvaises herbes », favorisant un désherbage sélectif notamment au moment de la levée des semences.
Les plantes à insecticides sont des plantes sur lesquelles a été greffé un gène issu d’une bactérie du sol Bacillus thuringiensis. Cette bactérie contribue naturellement à la défense des plantes contre un grand nombre d’insectes ravageurs. Aujourd’hui ce sont principalement quatre plantes d’une grande importance économique, le soja, le maïs, le coton et le colza, qui ont reçu ce gène insecticide. Ces PGM insecticides ne sont pour l’instant pas autorisées par la CEE. Par contre elles sont largement exploitées dans le reste du monde où 125 millions d’hectares ont été semés en 2008 principalement dans les pays du continent américain.
Pour bien comprendre le risque potentiel pour les insectes et en particulier pour les abeilles il faut revenir au mode d’action de Bacillus thuringiensis. Cette bactérie secrète des protoxines qui, une fois dans le tube digestif de l’insecte ravageur ou de sa larve, doivent subir trois étapes de transformation avant d’être actives et de provoquer la mort de l’animal.
La première étape est une mise en solution qui est sous la dépendance de l’acidité (du pH) du tube digestif de l’animal. Une fois en solution cette protéine va être fractionnée (protéolyse) par des enzymes spécifiques (protéases à cystéine, à sérine…) qui vont alors libérer la molécule intéressante. Cette dernière devra encore se lier aux récepteurs et être activée avant de produire ses effets toxiques. Il faut retenir que ces trois étapes ne peuvent être franchies que dans le système digestif de certains insectes, ce qui assure une sélectivité naturelle d’action protégeant les autres espèces.
Mais dans les plantes Bt les deux premières étapes ont été supprimées pour arriver directement à la production de la toxine active par le gène greffé. Les deux premières étapes ne jouent donc plus leur rôle de sélectivité propre à chaque famille d’insectes. Ils peuvent donc tous être en contact avec la plante Bt (récolte de sève, de nectar, de pollen, d’exsudat…) avec le risque d’absorber sa toxine.
Quelques effets sur les abeilles commencent à être connus comme la présence de la toxine Bt au niveau des glandes hypopharyngiennes, des troubles du comportement alimentaire et de l’apprentissage, de même des effets sub-létaux sont suspectés (pas d’effet létal connu). Par ailleurs des effets de ces toxines Bt sont observés chez des organismes non cibles (abeilles, papillons, coccinelles…) dans le sol sur les lombrics et dans l’eau (insectes et mollusques aquatiques).
Que peut-on faire ? Poursuivre et développer les études de toutes les voies possible d’exposition dans le réel c’est à dire en plein champ. Examiner aussi les effets des combinaisons des toxines Bt avec les autres insecticides. Enfin et surtout il faut continuer à obtenir de nos autorités qu’elles refusent l’agrément de ces PGM aussi longtemps que leurs effets sur l’entomofaune et en particulier les abeilles ne soient pas parfaitement connus.
En conclusion et comme le faisait remarquer la présidente de cette journée, on pourrait penser que, au vu de ces conférences, l’avenir des abeilles est bien incertain. Cependant, le travail fait par les apiculteurs et les chercheurs dans la connaissance des effets de ces différents facteurs est très encourageant. Par ailleurs, leur engagement pour la protéger et au delà de celle-ci, pour protéger l’environnement est la meilleure façon de mobiliser le grand public.
Enfin, et malgré l’influence des lobbies, il eut été souhaitable que l’institut technique qui vient d’être créé, ait été saisi d’une mission de recherche dans ces domaines comme dans celui des effets chroniques des pesticides, ce qui est loin d’être le cas actuellement. Mais il n’est pas trop tard pour bien faire.