Société Centrale d’Apiculture

Les abeilles des chênes têtards

Paroles d’apiculteur, Ruche tronc

En mars 2OO9, j’eus l’occasion de rencontrer un agriculteur afin de décider du sort d’une colonie d’abeilles logée dans un chêne têtard. Ce chêne desséché se trouvait sur un restant de talus qui constituait une gêne pour les travaux de culture.

chênes têtards

La vue de ce chêne têtard abritant des abeilles me ramena quelques décennies en arrière. Vers 1950, dans l’ouest de la France, les fermes étaient entourées de parcelles de petite ou moyenne superficie. Ces parcelles, travaillées par des chevaux, étaient délimitées par de solides talus bordés de fossés qui retenaient l’excédent d’eau en hiver. Les talus, servant à la fois de clôture et de brise-vent, étaient plantés d’arbres, notamment de chênes têtards. Ces derniers étaient élagués à la hache tous les neuf ans pour éviter que les grosses branches ne viennent surplomber les cultures et ce travail contribuait du même coup au renouvellement du bois de chauffage. Ces chênes imposants avaient donc de nombreuses cicatrices qui au fil des ans se creusaient, servant d’abri aux oiseaux, écureuils, abeilles etc.

Au printemps les talus se couvraient tout naturellement d’une multitude de fleurs sauvages et on pouvait aussi y observer une faune extrêmement diverse.

Après la seconde guerre mondiale, suite au plan Marschall, l’arrivée des tracteurs allait bouleverser ces paysages de bocages. Ces engins au départ de faible puissance, comme les « petits gris » de marque Ferguson, servaient à tracter les outils auparavant tirés par les chevaux. Mais très rapidement, des modèles de plus en plus puissants firent leur apparition. En dehors des travaux de culture ils furent donc utilisés pour araser les talus afin d’agrandir les parcelles désormais trop petites. Je sais que beaucoup d’agriculteurs ont effectué ces travaux de démolition à contre-cœur mais il fallait davantage de rendement, bon nombre de ces machines ayant été achetées à crédit et l’exode rural ôtait de plus en plus de bras aux campagnes !

Le remembrement et l’introduction de la culture du maïs dans cette région, accélèreront la destruction des talus sans trop penser aux conséquences néfastes notamment dans les secteurs en pente.

Pour en revenir à notre chêne, l’agriculteur souhaitait donc sauvegarder les abeilles ce qui est une démarche tout à fait louable. Les butineuses sortaient du tronc par un orifice situé à environ un mètre du sol. L’arbre mesurait quatre-vingt centimètres de diamètre pour une hauteur de trois mètres.

abeilles sortant du tronc

Les racines étant sèches, un puissant bulldozer travaillant à proximité, n’aurait aucune difficulté à déraciner cet arbre et à le déplacer, ce qui fut décidé. Dans les jours qui suivirent, une fois le trou de vol obstrué, l’arbre fut soulevé et transporté une soixantaine de mètres en bordure de la parcelle, replacé debout et consolidé. Rapidement les abeilles d’une étonnante douceur reprirent leurs activités et curieusement peu d’entre elles revinrent à leur emplacement initial.

Des questions demeurent. On aurait pu tronçonner cet arbre, récupérer les abeilles et les exploiter mais ces colonies nichées au creux des chênes n’y sont-elles pas en général installées pour longtemps ..? Un piège à essaim sera néanmoins maintenu à proximité.

Autre interrogation : en soixante ans, des centaines de kilomètres de talus ont été arasés, des milliers d’arbres abattus ; quel a été le sort réservé aux abeilles logées dans certains d’entre eux ?

Depuis cette dernière intervention, une autre colonie d’abeilles a été repérée à trois kilomètres de là dans un chêne bien vert celui-là et qui se trouve au bord d’un chemin d’exploitation, donc nullement menacé. Il a même laissé échapper un superbe essaim qui a pu être récupéré.

Quant aux talus, leur utilité indéniable ayant été reconnue, ils bénéficient depuis quelques années d’une certaine attention.