Société Centrale d’Apiculture

Journée conférences de la SCA - 22 janvier 2011 au Crédit Municipal de Paris

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Conférence annuelle

« L’homme et l’abeille : 120 à 140 siècles d’histoire commune » Cette année, la journée de conférences, abandonnant provisoirement les soucis quotidiens des abeilles et des apiculteurs, a porté un regard sur la longue histoire qui lie l’homme et l’abeille. Ainsi, nous avons pu pénétrer la grande richesse des mythes et symboles qui se sont développés au cours des siècles, accompagnant l’observation et la connaissance de cet insecte.

De même, nous avons pu voir qu’à certaines époques, la politique et la philosophie s’accommodaient difficilement des découvertes les plus récentes concernant l’organisation sociale dans la ruche. Aujourd’hui, même si les bases biologiques sont incontestables, l’abeille continue de servir de modèle à l’homme, par exemple pour acquérir une meilleure connaissance du fonctionnement de son propre cerveau.

En ouverture de cette journée, Bernard Candiard, Directeur Général du Crédit Municipal de Paris, accueillit cette assemblée de près de 200 personnes. Il brossa l’histoire du Crédit Municipal depuis sa création en 1777 et son installation au cœur du quartier du Marais. Aujourd’hui l’établissement est spécialisé dans le prêt sur gage et a développé des activités bancaires et, plus récemment, des activités de microcrédit. On comprend le rôle économique important que joue le Crédit Municipal auprès de la population parisienne, notamment en période de difficultés économiques.

1 – La guerre des sexes dans l’époque moderne (XVIe - XVIIIe siècles) : Jean-Paul BURDY

pro Authore Muses Rusden
De tous temps, l’organisation sociale des ruches a fasciné les hommes. Son unité et son harmonie ont représenté un modèle d’organisation, de gouvernement, voire de vertu politique pour la société humaine. Au XVIe siècle O. de Serre écrivait : « la ruche des mouches à miel est un vrai modèle d’une république bien policée ».

Depuis l’Antiquité, il allait de soit que le gouvernement de la ruche était une royauté et que cette monarchie avait à sa tête un roi. Pour certains, la monarchie de la ruche était donc calquée sur la monarchie des hommes avec, autour du roi, des ducs formant l’aristocratie, puis des gardes du corps (les faux-bourdons) et enfin la plèbe (les ouvrières) formée de soldats. Mais pas de société pérenne sans femelle, donc il y avait, dans cet univers très masculin, au moins une reine … que l’on ne voyait pas.

Puis, au tout début du XVIIe, siècle apparut le microscope et, avec lui, une grande révolution dans la connaissance de l’univers clos et obscur de la ruche. On s’aperçut alors que le roi des abeilles était en réalité une reine avec un gigantesque appareil génital capable de pondre des centaines d’œufs par jour. On découvrit également que les soldats du roi étaient en réalité des femelles. Et pire encore, les supposés gardes du corps n’avaient pas de dard ! On se doute qu’une telle somme de découvertes ne faisait pas l’affaire de tous. Nombre de philosophes, moralistes ou religieux – souvent apiculteurs – étaient des auteurs reconnus de traités aux retombées qui dépassaient largement le monde de l’apiculture.
Notre conférencier compara alors deux modèles de royautés en Europe. Celui d’Angleterre où, à cette époque déjà, les femmes pouvaient accéder au trône, comme ce fut le cas d’Elisabeth 1re ou d’Anne Stuart, et celui de France où seuls les hommes avaient le droit de gouverner.
Il évoqua les nombreuses réticences, au « Siècle des Lumières », à accepter que, dans la ruche, le roi soit une reine. En France, le pouvoir, considéré comme de droit divin, ne pouvait être exercé que par des hommes dans tous les domaines : politique, économique ou moral.

2 – Mythes et symboles de jadis à maintenant : Janine KIEVITS

Janine Kievits abordait à sa manière la guerre des sexes dans la ruche. Cette fois, la conférence débute à l’aube de l’utilisation des abeilles par l’homme. Notre amie belge nous donna deux points de repères importants pour la bonne compréhension de son discours. D’une part, l’abeille, que l’on nomme domestique, n’est pas vraiment domestiquée et, d’autre part, la relation entre la colonie d’abeilles (être vivant à part entière) et l’homme est une sorte de contrat entre égaux.
Au cours des temps, se sont développés autour de l’abeille, un discours de la raison et un discours mythique, le premier cherchant à expliquer les faits de façon rationnelle, le second naissant d’une perception collective dans laquelle sont introduits progressivement des éléments symboliques.
Et pour illustrer son propos, Janine Kievits nous donnait de nombreux exemples de mythes et de symboles relatifs aux abeilles qui ont traversé les siècles et sont arrivés jusqu’à nous.
Gravure sur bois 1555

Elle définit la « Bougonie » ou naissance des abeilles dans le ventre ou la carcasse d’un taureau, sorte de génération spontanée. Puis elle évoqua la Déesse Mère munie d’ailes et d’un abdomen qui est aussi la maîtresse des animaux, symbole de la virginité et de la fécondité. On retrouve encore cette image dans la vision chrétienne de la Vierge Marie. De nos jours, « l’abeille sentinelle de l’environnement », insecte précieux, symbolise la pureté et la nature.
Depuis des millénaires, nous accordons à l’abeille un rôle religieux et moral non négligeable. Au fil du temps s’y sont ajoutées des vertus liées au travail (géométrie des alvéoles, activité des abeilles comparée à l’oisiveté des faux-bourdons) ou au triomphe de l’esprit sur la chair (la fécondité comparée à la sexualité, symbolisée par le lait et le miel).

3 – L’apprentissage des abeilles : Martin GIURFA

La troisième conférence nous fit faire un grand saut dans le temps et nous plaça au centre des réalités scientifiques du XXIe siècle. Plus précisément, il fut question de la grande capacité d’apprentissage et de mémorisation des abeilles, qualité essentielle mise à profit par Martin Giurfa et son équipe pour explorer les mécanismes qui régissent le fonctionnement de leur cerveau. Car il est plus facile de travailler sur un modèle comprenant un peu moins d’un million de neurones (le cerveau de l’abeille) que sur un modèle qui en contient cent mille fois plus (le cerveau de l’homme), l’un et l’autre utilisant les mêmes mécanismes de fonctionnement !
Cerveau de l'abeille

Cet apprentissage associe un exercice ou un stimulus (odeur) et une récompense donnée sous la forme d’une goutte d’eau sucrée.
Les résultats de nombreuses expériences nous ont ainsi été présentés. Ils nous montrent :

  • sa capacité à l’apprentissage visuel qui peut prendre différentes formes. Il peut aller de la mémorisation d’une configuration de base jusqu’à la discrimination réussie en fonction d’une configuration complexe. L’abeille est aussi capable d’apprendre des concepts abstraits voire d’assimiler des règles de choix simples.
  • sa capacité à un apprentissage des odeurs qui répond à une besoin vital de la ruche. lobe antennaire Les essais menés par le Dr. Giurfa et son équipe ont révélé un apprentissage rapide ( 30 min) et durable (de l’ordre de 2 semaines) de signaux olfactifs, transmis dans différentes parties du cerveau au travers des lobes antennaires, formés chacun de 160 glomérules. Ces glomérules changent de taille en fonction des odeurs rencontrées et des phases d’apprentissage, confirmant ainsi la plasticité du cerveau dont les régions changent de volume en fonction des activités de l’abeille.
  • que ses neurones fonctionnent comme les nôtres, sous l’action de médiateurs chimiques dont le plus important est l’acétylcholine. Ce neurotransmetteur, médié par les récepteurs nicotiniques et muscariniques, joue un rôle essentiel dans la transmission des informations. Dès lors, on peut imaginer que des molécules qui « miment » ce neurotransmetteur (les néonicotinoïdes) puissent perturber de façon transitoire ou définitive l’influx nerveux des abeilles et altérer gravement le fonctionnement de la ruche.

En conclusion, rappelons quelques points de repères que nous donna la présidente de cette journée, Fabienne Giboudeaux, adjointe au Maire de Paris chargée des espaces verts et de la biodiversité. Il y a d’abord le droit de chacun à la nature. Aujourd’hui existent de vraies menaces sur la chaîne du vivant au moment ou chaque citoyen (de plus en plus urbain) recherche une vraie proximité avec la nature. D’autre part, les êtres vivants ont besoin les uns des autres pour se développer et maintenir la richesse de la biodiversité. L’abeille est à cet égard un très bel exemple des multiples interactions qu’elle peut exercer sur le monde qui l’entoure. Elle devient de ce fait un précieux indicateur de la qualité de la vie pour tous.