Société Centrale d’Apiculture

En passant par le cimetière du Montparnasse

Arbres, Fleurs, Henri Hamet, varroa

Cet article pourrait avoir comme sous-titre le refrain de la balade des cimetières de Georges Brassens :
« … au cimetière du Montparnasse,
à quatre pas de ma maison,
à quatre pas de ma maison… »

Il se trouve que ma maison est également à quelques pas de ce fameux cimetière, de l’autre côté de la vallée de la Bièvre, quelque part du côté de la manufacture des Gobelins.
J’avais projeté depuis longtemps une petite promenade sur le mont d’en face pour observer un peu les richesses mellifères de ce quartier.
Comme je l’ai déjà expliqué, ces petites balades permettent à l’apiculteur que je suis d’observer les plantes et les fleurs qui garnissent les espaces verts et les alignements des rues de la capitale qui peuvent intéresser nos abeilles urbaines à un moment ou un autre de l’année. Et pour être totalement sincère, j’avais aussi envie de faire une petite visite à Henri Hamet, le père fondateur de la Société Centrale d’Apiculture qui repose dans ce lieu historique.

Imaginons que le point de départ de notre promenade se situe sur la place Denfert-Rochereau. Pour y accéder depuis mon 13e arrondissement, j’aurai emprunté soit le boulevard Saint-Jacques planté de nombreux platanes à feuilles d’érable (Platanus acerifolia), soit le boulevard Arago bordé de plus de 400 marronniers d’Inde (Aesculus hippocastanum) certainement plus prisés des abeilles au printemps que les platanes.

Sur la place, trône le fameux Lion de Belfort réplique réduite de la sculpture monumentale située à Belfort que réalisa Auguste Bartholdi (également sculpteur de la statue de la Liberté). À l’ouest, bordant l’avenue Rol-Tanguy, subsistent les deux pavillons dessinés par l’architecte Claude Nicolas Ledoux en 1787 qui formaient alors la « barrière d’Enfer ». Aujourd’hui l’un de ces bâtiments abrite l’Inspection Générale des Carrières et surtout l’entrée des catacombes de Paris.

En prenant la direction du cimetière on entre dans la rue Froidevaux avec, pour commencer, un bel alignement de Cédreles de Chine (Cedrela sinensis). Ils sont facilement reconnaissables à leurs branches formant des bras noueux, leur écorce noirâtre en plaques écailleuses allongées et à leurs longues grappes de fleurs, sortes de petites clochettes blanchâtres au parfum douceâtre de miel apparaissant en juillet/août et activement visitées par les abeilles les jours de chaleur.
Sur la droite il y a une succession de petits squares et de petites places avec de nombreux végétaux intéressants : des érables, quelques savonniers (Koelreuteria paniculata) et des arbustes comme le sureau noir (Sambucus nigra), le mahonia ou l’arbousier commun (Arbustus unedo). Ce dernier est aussi connu sous le nom de l’arbre aux fraises. Il est remarquable car, en plein hiver, il présente fleurs et fruits rouges en même temps.

Une fois passée la rue Schoelcher, on pénètre dans la partie de la rue Froidevaux plantée de chaque côté par de superbes tilleuls à petites feuilles (Tilia cordata) et argentés (Tilia tomentosa). Un matin de printemps, lorsque les feuilles s’épanouissent, c’est un régal des yeux d’observer la lumière du soleil qui pénètre au travers de ce feuillage naissant aux nuances infinies de vert tendre.

Enfin on accède au cimetière par la porte située au coin de la rue E. Richard. Dire d’un cimetière qu’il est un havre de paix, de calme et de sérénité est sans doute un truisme. Mais il est vrai que la transition est presque violente tant le calme des lieux contraste avec la vie agitée des alentours. Si la taille du cimetière et la liste des noms illustres n’étaient pas là pour nous le rappeler, on pourrait presque imaginer entrer dans un tranquille cimetière de campagne.

Sépulture d'Henri Hamet

Saluer Henri Hamet n’est pas une mince affaire. Pour s’y rendre il faut pouvoir déjouer les pièges de ce subtil dédale de tombes et accéder par tâtonnements jusqu’à la 8e ligne de la 11 division !
Il décéda le 8 octobre 1889, trente-trois ans après avoir fondé la SCA et écrit les premières lignes de l’Apiculteur, bulletin de cette Société Savante.
Le Conseil de Paris lui accorda une concession perpétuelle et gratuite, pour les services qu’il avait rendus au développement et au rayonnement de l’apiculture notamment au travers des cours qu’il avait professés au Jardin du Luxembourg.

En me trouvant devant sa tombe, l’idée me vint d’engager avec lui une brève conversation. C’est un peu surréaliste, mais d’autres, dans une émission matinale du samedi matin sur une chaîne publique intitulée « debout les morts » arrivaient fort habilement à interviewer, au moyen d’enregistrements d’archives, des personnages contemporains disparus.

Après les salutations d’usage, il me dit :

  • sachez cher inconnu que cela me donne bien du plaisir d’avoir la visite d’un membre de la SCA.
  • figurez-vous cher illustre fondateur que j’aime à me promener dans Paris car l’apiculture qui y a toujours tenu sa place est de nouveau fort à la mode. En marchant dans les rues et les jardins je peux observer toute les plantes mises à la disposition des abeilles.
  • Par où êtes-vous entré dans le cimetière ? me demanda-t-il.
  • Par l’entrée de la rue Froidevaux lui répondis-je, car ma demeure est située du côté de la manufacture des Gobelins !
  • Alors vous n’avez pas manqué d’observer les tilleuls, les quelques Sophora (Sophora japonica) plantés au début de la rue et cette abondance de lierre grimpant (Hedera helix) qui recouvre les murs du cimetière.

Je le complimentais sur le choix de cet emplacement qu’il occupait et qui pourrait abriter un beau rucher.
Il me répondit :

  • vous n’avez pas tout vu jeune homme, promenez-vous donc dans ce lieu de repos éternel et vous pourrez observer la richesse végétale fort propice aux abeilles. Oubliez les chrysanthèmes de novembre qui n’ont pas d’intérêt pour nos amies ailées, mais regardez donc certaines plantes sauvages qui poussent entre les tombes et surtout, tous ces arbres qui nous apportent de la fraîcheur l’été.
    Je lui promis de continuer ma promenade dans ce sens.
  • Et puis me dit-il, sortez du cimetière par l’entrée principale, celle qui donne sur le boulevard E. Quinet. Vous verrez qu’il y a encore de bien beaux alignements d’arbres.

Puis nous avons pris un peu de temps pour évoquer l’apiculture moderne.
Il évoqua d’abord Karl von Frisch, ce « gamin » né en 1886 (dix ans après la fondation de la SCA) qu’il considère comme l’un des pères fondateurs de l’apiculture moderne avec ses travaux sur le « langage chorégraphique » des abeilles.
Ensuite, il me dit en confidence : « Comme vous le savez certainement, j’ai été un ardent défenseur du fixisme en apiculture.
J’avais mes raisons ! Mais je reconnais aujourd’hui que le mobilisme est devenu incontournable. Il faut suivre de près ses boîtes à mouches avec cette « saleté » de Varroa et toutes ces maladies… »

Je cherchais ensuite à connaître son point de vue sur les pesticides.
Il a retrouvé sa fougue d’antan pour fustiger les apprentis sorciers qui sont, à son avis, en train d’empoisonner la planète entière.
Il m’expliqua alors que la SCA s’appelait en réalité la « Société Centrale d’Apiculture, de Sériciculture, d’Insectologie et de Zoologie Agricole » car à son époque les fondateurs avaient compris les liens indissociables qui unissent les plantes, les insectes – ceux qui pollinisent et les autres – et les hommes.

Enfin comme l’heure tournait, je m’apprêtais à le quitter mais je m’étonnais qu’il ne me questionnât point sur l’horrible frelon (Vespa velutina). Étrangement, la nouvelle ne lui était pas encore parvenue. Je lui décrivais donc les ravages engendrés par ce terrible prédateur venu d’Asie depuis quelques années.
Il me répondit que l’Apiculture (c’est-à-dire selon lui les apiculteurs, les scientifiques et les industriels aussi) devait unir ses forces avec sagesse pour trouver les moyens de lutter contre ce fléau comme il a été fait de son temps pour arrêter d’étouffer les abeilles.

Puis je pris congé du Maître.
Il me rappela alors son conseil de sortir par le boulevard Quinet. Et je ne fus pas déçu car je trouvai des Cédreles de Chine, des Sophora, des Pterocarya (Pterocarya fraxinifolia) par dizaines et quelques tilleuls.

Il avait bien choisi sa demeure « éternelle » au milieu d’un cimetière parisien richement arboré. Avec la ruche en paille sculptée sur son mausolée il était devenu en quelque sorte le premier apiculteur urbain, bien avant que la mode ne se développe plus d’un siècle après sa mort !

(mai 2013)